..à destination de Yannick Bestaven
texte composé durant le Vendée Globe 2020-2021
Les sables émouvants se livrent aux navigateurs.
Les marins envoient un long appel au vent, les ex-voto sont en suspens, invisibles autour du navire.
Chacun part avec espoir de s'accorder au souffle d'Éole. Il leur permet de mesurer la dose d'acceptation à traverser, afin de devenir eux-mêmes son messager.
Le brouillard s'étend, nappe sur le plan d'eau, les embarcations effleurent la douceur d'une pause, les voiles faseyent.
Le combat avec les éléments chambranle la technologie, réalité de l'humilité des hommes et femmes de mer.
Knock-out. Bannette arrachée au saut du peu de sommeil, vrac complet sur la mauvaise amure, casse rédhibitoire, naufrage qui montre la fragilité et rend la peur omniprésente pendant d'interminables heures.
Pas une once de brise. Les bateaux se déplacent avec langueur vers les hautes pressions. Le vent oscille en direction, ils ne savent pas trop où passer, trou de souris dans l'immensité océanique.
Le garde-barrière anticyclonique laisse s'échapper les nuages et bloque l'isobare en travers du cap.
Lors de longues nuits bruyantes, la quille siffle, bascule en des surfs continus et erratiques; alors, les émotions gravissent le sommet de la Croix du Sud.
Embruns chagrins, froids et moites, cap au sud, l'échiquier mouvant se déroule.
Prudence ou direct dans le dur. Préserver sa monture, chacun sa route et sa solitude, coupure terrestre, les jours dilapident les nuits.
Adieu bateaux de pêche et cargos qui s'évanouissent pour un bout de temps !
Stratégie de l'angle dans la logique du cogitum permanent : la trajectoire se courbe, s'incurve, rarement droite, éléments complexes qui provoquent pleurs, peurs et frustration.
Temps de chien, torpeur. La dépression stationnaire emprisonne la bulle secondaire des navigateurs.
Pilote automatique, pote mimétique, compagnon inséparable d'un tour du monde en mode vent. Cet ami nous laisse le répit et la saveur d'un abandon.
Sans lui, tu es le fantôme d'un navire à la dérive.
Équateur sous le tropique, menace de pluies diluviennes, tambours des ombres nuageuses et trombes d'eau, zéphyr évanescent sans bout de lune à accrocher du regard.
Se résoudre à accepter ce qui se présente.
Concours de ténacité contre la brise sur le pont des certitudes, la fuite, le cap, remue-méninge.
Sainte-Hélène s'étend, anticyclone.
Descendre vers les quarantièmes rugissants, où chacun pousse son bateau à des vitesses au-dessus de la raison. Ivresse dans la vague, arrêt en haut de la crête et ainsi de suite pendant des semaines.
Des bruits stressants permanents, l'hostilité se répand partout, monde animal à quatre pattes tellement la dureté est de règle. Pas de répit, l'environnement sauvage te rend ta peau de bête, sanglier hirsute qui cherche la meute. Prisonnier, ta geôle est autour de toi et se déplace à chaque souffle. Pourtant, ta quête de performance et de liberté te guide pour endurer l'insupportable.
Soudain, le cap de Bonne-Espérance fond au désespoir de retrouver le radeau d'un homme qui a vu couler son destrier de course.
Cap ou pas cap, il faut aborder le suivant, s'accomplir et s'affranchir du Pacifique, avaler les milles qui nous séparent du Horn.
Voir le rocher, humble à souhait, le vent l'empêche de passer le caillou. Enfin, le courant se libère, le porte, une boucle dorée à l'oreille, la cuillère australe honorée. Clignotant à gauche, il remonte vers le nord, délivré de la solitude du grand sud.
L'espoir de tenir entre ses mains un bout de terre à l'odeur âcre s'accroît chaque jour.
Seul, par son choix, il met le rouge sur ses voyants personnels, gloire à la couronne des Olonnes.
Célébrons le gladiateur de l'eau salée!
Son feu de proue, une fois la ligne franchie, le laisse dans la béatitude des trois caps franchis.
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